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Substitution - Bring Her Back [Danny & Michael Philippou]

 


Réalisation : Danny & Michael Philippou

Année : 2025

Pays : Australie, États-Unis

Casting : Sally Hawkins, Sora Wong, Billy Barratt

Durée : 1h44

Note : 2/6 (MacReady)       

  2/6 (Dahlia

En 2025, A24 continue de creuser son sillon. Un sillon très sérieux, très soigné, très elevated. Le genre de film d’horreur qu’on regarde les jambes élégamment croisées, dans un silence instruit universitaire, un doigt méthodologiquement posé sur les lèvres, les sourcils sémiologiquement froncés pour bien analyser les symboles (hyper évidents, presque bateaux) avec la certitude qu’on va parler de trauma, de deuil, de culpabilité - bref, d’émotions profondes, mais avec des cadres fixes, du flou progressif et des rideaux qui flottent au ralenti. A24, c’est devenu une sorte de label : un parfum de bon goût au-dessus du formol, là où le genre horrifique devient (trop) clinique. Et après le petit succès viral de Talk To Me, revoilà les frères Philippou sous le giron de l’indépendance respectable de la boite. Fini la main démoniaque cheloue et les jump scares TikTok-friendly. Cette fois, c’est plus sérieux. Plus lent. Plus adulte. Plus… oui bon, plus A24, quoi.



Et sur le papier, Substitution: Bring Her Back avait de quoi intriguer : un frère et sa sœur malvoyante, placés chez une nouvelle mère adoptive dans une maison isolée, voient leur quotidien se fissurer au contact d’événements étranges qui bouleversent peu à peu leurs repères.
 
Un concept tordu, des personnages tous endeuillés, quelques images cauchemardesques… tout est là. Et pourtant, malgré son atmosphère soignée et son sujet glissant, le film a du mal à s’imposer. À nous accrocher. Et ce n’est pas faute d’efforts. Parce que, soyons honnêtes, tout y est. Trop, peut-être. La mise en scène cherche le malaise, les symboles (l'eau comme figure du deuil et de la résurrection), les couches de lecture. La musique fait trembler les murs. Les visages lâchent des larmes à contre-jour. Mais le truc, c'est que quand on a quelques heures de vol dans l'horreur et le fantastique, on devine vite la partition, le mystère s'étiole quasi immédiatement - c'est limite s'il n'y en a pas du tout en fait, donc l'accroche est quasi absente - et une fois qu’on a compris les enjeux - spoiler : ça parle de deuil (je ne sais pas si je l'ai déjà dit - en tout cas le film lui, ne fait que ça), on commence à tourner en rond. Enfin, à tourner sur place. Le récit, lui, reste planté. On attend que ça monte. Et sincérement : bof. 



Alors oui, on va pas se mentir non plus, le boulot est fait. La lumière est belle, les cadres sont millimétrés, les pistes sonores sont bien gérées. Le chef op Aaron McLisky (déjà présent sur Talk To Me) continue d’explorer une image froide, géométrique, presque clinique - flous progressifs de la confusion et de l'isolement, intérieurs aseptisés du vide intérieur des personnages, couloirs en plongée, visages isolés dans l’obscurité. Une mise en scène qui étouffe plus qu’elle ne transperce. La direction artistique est plutôt léchée, et la direction d’acteurs est solide. Sally Hawkins (The Shape of Water) porte sur ses épaules toute la gravité tragique du récit, sa bizarrerie, mais ses partenaires ne déméritent pas : Sora Wong, jeune actrice réellement malvoyante, est très bien et trouve une intensité discrète mais bien présente dans son rôle, et Billy Barratt (vu dans la série Invasion de AppleTV) amène un mélange de force rassurante mais paumée, une fragilité juvénile qui accroche un peu plus que prévu. C'est pas mal, ils sont crédibles. Tous appliqués, mais malheureusement comme retenus par le carcan du dispositif - ligotés par un film qui préfère la symbolique à la chair. (Si j'étais méchant, je dirais que Substitution - Bring Her Back est l’illustration parfaite du syndrome A24 : des films qui se vivent comme des objets sacrés, qui se veulent être de petits classiques intelligents, mais qui ont un peu, parfois, oublié de mettre un cœur dans la boîte - où en tout cas de manière tellement simpliste et attendu, oui mécanique, qu'ils ne battent que difficilement : des pacemakers un peu artificiellement greffés)

 

Et pourtant, il y a de vraies idées. Le décor de la maison, le motif de la substitution justement, le jeux sur ces détails du quotidien - un jouet laissé sur le sol, une photo sur le mur, un miroir qui reflète trop le vide laissé - et leur fait porter le poids du passé, comme si chaque objet conservait les traces de ce qui manque, de ce que l'on a perdu, la symbolique de l'eau comme déjà dit, une ou deux scènes un peu glauques, mais vite fait… Tout ça aurait pu prendre. Mais c’est comme si chaque piste émotionnelle était étouffée par une volonté de maîtrise, de volonté d’être un bon élevè appliqué, mécanique encore une fois. Ça ne vient pas des tripes, mais d'un cerveau ayant mis son plus beau costume du dimanche et ses lunettes d'intello. Le film contrôle tout, même la panique. Même la peine. Et ça se sent. On voudrait être touché, mais on reste à distance. On devine le protocole. On anticipe les retournements. Le rythme est si étiré qu’il finit par se dissoudre dans son flou constant.


Le problème n’est pas tant que ce soit “mauvais”. Ce n’est pas un mauvais film, soyons clairs. Mais c’est un film étouffé par ses propres intentions. Un film qui veut tant bien faire, tant dire, tant maîtriser, qu’il en oublie l’essentiel : bousculer, faire ressentir, quitte à oser d'être brouillon, maladroit, humain.
Et à la fin, quand tout se referme, il reste quoi ? Un peu d’ambiance, un petit malaise rapide - trop rapide - de temps en temps à travers une ou deux scènes se voulant chocs, et cette impression persistante, tenace, presque agaçante me concernant, qu’on vient de regarder non pas un bon film, mais un film tellement pensé pour être bon, tellement gentil bon élève bien peigné bien appliqué, tellement suivant le petit cahier des charges de l'indépendance elevated de A24, que ça ne dépasse pas l'aspect du bel objet, mais un peu vide, long, et fondamentalement pas fou. C’est peut-être ça le plus dommage.


-MacReady-
 

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