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Année : 1984
Pays : Royaume-Uni
Casting : John Hurt, Suzanna Hamilton, Richard Burton
Durée : 1h53
Note : 5/6 (MacReady)
« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »
Orwell n’a pas inventé ces slogans pour faire joli : il les a forgés après avoir vu la monstruosité naître à la fois du fascisme et du stalinisme. Écrit en 1948–49, 1984 est marqué par ses expériences personnelles : il a notamment pris les armes contre le fascisme Franquiste pendant la guerre civile espagnole, où il a même été blessé d’une balle à la gorge. Sa peur était claire : un monde où le langage lui-même devient une arme, un monde où le mot n'est plus vecteur de sens, mais de contre sens. Adapter un tel texte, c’est marcher sur une corde raide entre fidélité et trahison. Présenté au Festival européen du film fantastique de Starsbourg (le FFES) dans la bien nommée rétrospective FasciFiction, l'adaptation de Michael Radford (Les Cœurs captifs, Sur la route de Nairobi) frappe toujours assez fort. Radford a choisi de relever le défi pile en 1984, tournant son film à Londres et dans les friches industrielles d’Angleterre, histoire d’ancrer son récit dans une réalité tangible. Son idée : ne pas transformer le roman en SF futuriste mais en miroir brutal de son époque, celle du thatchérisme, avec ses coupes sociales et son autoritarisme rampant. Son pari : ne pas inventer un futur, mais montrer que la mécanique totalitaire peut fonctionner ici et maintenant.
L’histoire : Dans un monde gouverné par Big Brother, Winston Smith, fonctionnaire terne et solitaire, réécrit quotidiennement l’Histoire pour le compte du Parti. Fatigué des mensonges, il entame une relation secrète avec Julia, qui le pousse à croire encore en la liberté. Mais dans un univers où même la pensée est surveillée, l’amour peut-il survivre ?
Ce qui frappe en revoyant le film, c’est la fidélité presque maniaque au texte d’Orwell. Beaucoup de dialogues sont repris mot pour mot, et Radford insiste sur la mécanique de propagande : novlangue, slogans inversés, falsification des faits… bref, tout ce qui fait écho, de façon assez glaçante, à notre époque saturée de fake news et de storytelling politique permanent. Ce qui était hier une dystopie totale est devenu une grille de lecture bien réelle : on n’a plus besoin de télécrans quand on a des chaînes d’info et des réseaux sociaux qui tournent 24/24. Le film rappelle brutalement que manipuler les mots, c’est manipuler les esprits. Et quand on entend aujourd’hui certains responsables politiques nous expliquer que l’antifascisme serait le véritable fascisme, difficile de ne pas s’alarmer devant ce retournement sémantique.
Narrativement, le film suit pas à pas le parcours de Winston sans chercher de détours. Son écriture de journal intime, ses petits gestes de rébellion, sa rencontre avec Julia : tout est filmé avec une lenteur presque clinique. Le récit est aride, brutal, paranoïaque, vidé de toute couleur. Pas d’effets tape-à-l’œil, pas de gadgets futuristes, juste la banalité oppressante, asphyxiante, d’une société qui a fait du mensonge son oxygène. On est plus proche du documentaire que de la fable. Et Certaines scènes restent gravées. Les "Deux minutes de la haine " - séances d’hystérie collective organisées quotidiennement - sont terriblement bien retranscrites : Radford colle la caméra aux visages, le montage saccadé et le son martelé créent une fièvre collective où la violence devient rituel. On y voit la fabrication d’un ennemi, et la scène fonctionne comme une expérience sociale d’une violence glaçante. À l’autre bout du récit, la Room 101 incarne l’envers absolu : la peur intime, individualisée, où la torture psychologique brise ce qui reste d’humanité chez Winston.
Visuellement, Radford fait appel à Roger Deakins (Barton Fink, Fargo, No Country for Old Men, Skyfall, Blade Runner 2049), qui signe son deuxième film après Les Cœurs captifs, déjà de Radford, et impose une esthétique unique : un monde gris, délavé, sans chaleur, comme si la vie avait été rincée au Karcher. Le procédé du bleach bypass — traitement chimique qui laisse l’argent dans la pellicule — désature les couleurs, renforce les noirs et le grain. Résultat : une image hyper froide et malade, quasi fantomatique. On sent la fatigue, la misère, l’absence d’avenir. Même la campagne censée incarner le rêve de Winston paraît fragile, fugace, comme une hallucination. L’esthétique n’est pas là pour "faire joli" mais pour coller à l’état psychologique du héros. Et franchement, ça marche.
Le casting, lui, porte le film. John Hurt (Alien, The Elephant Man) est juste parfait en homme brisé, qui résiste autant qu’il peut mais dont on devine qu’il va finir par craquer. Richard Burton, dans son dernier rôle, donne à O’Brien une aura glaciale, presque paternelle et monstrueuse à la fois. Leur face-à-face est d’une intensité dingue, à tel point qu’on a du mal à respirer. Et Suzanna Hamilton (L’Histoire sans fin) apporte une énergie vitale en Julia, plus que simple objet du désir, véritable bouée humaine à laquelle Winston s’accroche.
Au final, 1984 de Radford est plus qu’une simple adaptation : c’est une mise en garde, filmée en pleine ère Thatcher et toujours brûlante aujourd’hui. Si Orwell écrivait pour dénoncer les totalitarismes de son temps, Radford filme pour rappeler que les dérives ne sont jamais très loin — que ce soit à Londres, à Washington ou à Paris. Et en ça, son film reste un avertissement précieux, un miroir inconfortable mais nécessaire. Pas un chef-d’œuvre flamboyant, à mon sens, mais une œuvre solide, grave, qui n’a pas pris une ride.
-MacReady-
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