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Année : 2024
Pays : États-Unis
Casting : Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Nicholas Hoult
Durée : 2h12
Note : 4/6 (MacReady)
1/6 (Dahlia)
Tâche assez compliquée par son ambition, avec Nosferatu, Robert Eggers s'attaque à une icône du cinéma d'horreur, à un monument, une œuvre matricielle qui a façonné l’imaginaire du vampire au cinéma. Et, soit dit en passant, après plus d'un siècle, un film toujours aussi efficace, bizarre et impressionnant (de toutes les différentes orchestrations – dont d'ailleurs Christopher Young, responsable des scores incroyables des deux premiers Hellraiser, en a signé un nouveau vraiment cool en 2023 – je vous conseille néanmoins la version orchestrée par Galeshka Moravioff, qui infuse une saveur étrange, onirique, voire même assez flippante à l'œuvre). Bref. Déjà revisité par Herzog en 1979 après la version de Murnau en 1922, ce personnage à l’allure de charogne a traversé les âges, imposant sa silhouette squelettique et son aura de peste vivante. Pas évident donc. D'autant plus que le film d'Eggers doit également se mesurer aux ouatmillièmes adaptations du Dracula de Bram Stoker, et pas des moindres : de Tod Browning en passant par Terence Fisher, sans oublier la très 90s version de Coppola – avec son Keanu Reeves nonchalant coupé au carré sortant de Bill & Ted, essayant du mieux qu'il peut (très mal) d'imiter l'accent d'un bourgeois londonien. Donc oui, un projet ambitieux. Et ça tombe bien, ambitieux, Eggers l'est sans aucun doute. Passionné par les peurs ancestrales et le folklore dès ses débuts, The Witch disséquait la paranoïa puritaine et la croyance en un Mal omniprésent. The Lighthouse plongeait dans les méandres de la folie et des mythes marins, entre sirènes et divinités lovecraftiennes (avec des scènes de prouts aussi). Ici, il revisite donc Nosferatu (un projet extrêmement personnel qu'il porte et essaie de monter depuis 2015), une figure du Mal plus insidieuse, un prédateur invisible à l'influence, à la puissance assez impressionnante. Alors l'ambition, c'est super, mais arrive-t-il à la hauteur de celle-ci ?
Premier constat déjà : visuellement, c’est un sans-faute. Eggers et son directeur de la photographie fétiche, Jarin Blaschke (The Witch, The Lighthouse, mais aussi récemment le Knock at the Cabin de Shyamalan), livrent un film où chaque plan semble sculpté à la main. L’image oscille entre le rêve et le cauchemar éveillé, avec cette patine ancienne qui donne l’impression d’observer un film d’époque sublimé par les outils modernes. Les contrastes sont saisissants, les jeux d’ombre sculptent l’espace avec une précision d’orfèvre. Une lumière maladive baigne l’ensemble, évoquant ces tableaux de l’époque romantique où la mort et le désir, l'Éros et le Thanatos, se confondaient dans des clairs-obscurs envoûtants. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a du Caravage dans la façon dont Eggers éclaire ses décors, mais un peu quand même à travers une approche picturale qui renforce hyper efficacement la dimension gothique du film.
Chaque élément semble pensé avec une minutie quasi-maniaque, comme si Eggers voulait composer un tableau vivant où chaque plan raconte une histoire à lui seul. Là où Murnau utilisait le noir et blanc expressionniste pour distordre la réalité et où Herzog baignait son film dans une mélancolie quasi-poétique, Eggers adopte une approche d’une précision presque muséale, où chaque détail est soigné à l’extrême. Cette rigueur esthétique confère à Nosferatu une atmosphère clairement hypnotique, une beauté vénéneuse qui fige le spectateur dans une contemplation morbide fascinée, fascinante. Plutôt que de chercher la spontanéité, Eggers fait le choix d’un contrôle total, transformant chaque image en un artefact intemporel, un cauchemar figé dans l’ombre, le silence, la maladie, la folie, la décomposition putride, la prédation.
Et Bill Skarsgård assure dans le rôle. Son comte Orlok n’a rien d’un prince des ténèbres séduisant. Ici, le vampire est une vermine, un être gangrené qui suinte la mort et la décrépitude, un prédateur. Une silhouette d’insecte, des yeux vitreux, un sourire cadavérique… Sa démarche saccadée, ses mouvements imprévisibles le rapprochent plus d’un spectre que d’un être vivant. Eggers refuse physiquement de le romantiser, de l'érotiser, mais pourtant, le triangle passionnel, d'interdépendance maladive, touchant dans son final à une poésie macabre dans une union charnelle nécrophile, fonctionne super bien. C'est hyper bien vu (et super beau visuellement encore une fois). Il en impose, sa voix gutturale résonnant, enveloppant, étouffant, vampirisant tout l'espace sonore, le Comte Orlok contamine l'écran, le montage, la perception des personnages se noyant dans son ombre. Cette idée – hyper importante pour moi dans le cinéma horrifique, quel que soit le film – que la présence surnaturelle contamine tout aspect tangible de la réalité est super bien rendue. Reste ce que beaucoup de gens ont relevé : le moustache gate. Oui bon. Moi j'aime bien. Cela apporte une touche historique dans cette incarnation d'une aristocratie décrépite mais toujours aussi vorace se nourrissant du bon peuple. J'aime bien.
Mais malheureusement, le film n'est pas non plus parfait. Le rythme du métrage est vacillant. On sent qu'Eggers, à travers sa narration s'étalant sur plus de deux heures, veut proposer un grand film, à la hauteur de l'aura de l'original. Mais il faut constater que la deuxième partie piétine un peu. C'est dommage. Autre défaut à mon sens, Eggers décide de contrebalancer, de réchauffer, son aspect technique hyper maîtrisé, dégageant une certaine froideur, par une direction d'acteurs peut-être trop théâtrale, peut-être trop enchaînée à sa volonté de rendre hommage au film muet de Murnau. Le choix est parfaitement compréhensible et respectable, mais laisse parfois un goût étrange. C'est à la fois une force, car cela donne à l'ensemble une espèce de singularité renforçant le caractère onirique, cauchemardesque, hors toute réalité du film et de ses protagonistes, mais aussi une faiblesse dans ses aspects les plus outrés. Les scènes de possession et toute la physicalité de Lily-Rose Depp, par ailleurs assez courageuse dans son approche et ses abandons, sonnent parfois évidemment un peu faux dans leurs outrances. Je trouve personnellement que ça passe, comme je le disais, apportant à l'ensemble une singularité appréciable et comme déjà dit une sorte d'hommage pas inintéressant aux acteurs de la période du muet, mais néanmoins semblant parfois un peu tangent.
Néanmoins, même si ces défauts sont bien présents et plus ou moins problématiques selon les sensibilités, ils sont selon moi étouffés par les qualités indéniables du film. Cela faisait longtemps que l'on n'avait pas vu un vampire aussi puissant à l'écran. Autant dans ses pouvoirs d'influence que dans sa prédation brutale et cruelle – Orlok n’est pas qu’un suceur de sang, c’est un parasite – sans oublier son aspect imposant qui, une fois délesté de ses atours aristocratiques, se révèle comme un cadavre putride à moitié squelettique. Tout cela donne au film une atmosphère vénéneuse, à la fois onirique et macabre. Un climat où la mort plane dans chaque recoin, où la sexualité est omniprésente sans jamais être frontale, où le désir et la répulsion s’entremêlent. Nosferatu respire l’inéluctable, la lente décomposition d’un monde gangrené par la peste et la superstition. Mais paradoxalement, malgré cette ambiance poisseuse, Eggers réussit à complexifier les impressions et les sentiments en rendant les oppositions inhérentes à cette histoire (la mort/le désir, l'attirance/le dégoût, la victime/le violeur) aussi poétiques que fondamentalement belles, notamment dans le sacrifice final déjà évoqué, où la victime devient prédatrice, et le prédateur un être pathétique piégé par son propre désir. Je trouve le final juste magnifique. Bref, tous ces éléments contribuent à mon sens à faire de ce Nosferatu 2024, pourtant loin d'être sans reproche comme déjà évoqué, l'une des plus particulières, singulières, intéressantes et macabrement belles adaptations récentes de l'œuvre fondatrice de Bram Stoker, mais aussi une nouvelle itération assez marquante du chef-d'œuvre de Murnau. Bien joué. Peut-être mon film préféré du réal pour le moment.
-MacReady-
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