Titane [Julia Ducournau]

 

Avis de Titane de Julia Durcournau

Réalisation : Julia Ducournau

Année : 2021 [au cinéma le 14 juillet]

Pays : France

Casting : Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier...

Durée : 1h48

Note :  4/6  (Vixen)
 

Un accident de voiture inaugural. Une plaque en titane inséré dans le crâne d'une fillette. Une danseuse amatrice de moteurs qui se cambre pour les amateurs de tuning. Un pompier incapable de faire le deuil de son fils disparu depuis 17 ans. Ajoutez quelques flacons de stéroïdes, trois mesures de Macarena, une petite culotte tachée de cambouis, remuez très fort et portez à incandescence : c'est prêt, reste à avoir si vous aurez l'estomac.

A ce propos, petit conseil préliminaire à ceux qui avaient moyennement goûté les charmes de Grave, le premier essai de Julia Ducournau : passez votre chemin, car la réalisatrice n’a définitivement pas changé son fusil d’épaule. Elle a juste musclé le calibre, passant de la chevrotine à la roquette anti-char, et s'est décidée à tirer dans le tas pour de bon...quitte à gaspiller les munitions. Avis garanti sans spoilers !

 

Avis de Titane de Julia Durcournau

 

Qu'on apprécie ou non l'expérience, il faut au minimum lui reconnaitre une intuition géniale : à l’heure où se dessinent l’abolition du genre et la promesse du transhumanisme, ressusciter la nouvelle chair de Cronenberg n’a jamais été aussi pertinent, d’autant qu’il s’agit ici de faire muter le concept et non de le recycler de façon stérile (à la différence de la plupart des jeunes réals écrasé.e.s par leurs influences). Si le film regarde Crash ou Vidéodrome, c’est définitivement dans le rétroviseur.

Mais Titane a encore d’autres choses à dire, puisqu’à la volonté de réinventer les figures du body horror s’ajoutent la déconstruction du male gaze et de la culture viriliste en miroir d'une réappropriation du corps féminin, le tout sous la forme mystico-symbolique d’un manifeste queer qui suture sans anesthésie le thriller horrifique et le drame psychologique intimiste. Ouf !

Et oui, ça fait beaucoup, beaucoup d’adjectifs, de concepts et d’idées à caser en moins de deux heures. Trop pour un seul film sans doute, d’où l’étrange impression parfois de voir deux métrages distincts se télescoper. La greffe, à mon avis, ne prend qu'à moitié. Les admirateurs salueront l'ambition (réelle) et l'énergie punk (électrisante), jubileront à ce majeur tendu aux réacs de tous poils et répliqueront que la forme mutante de l’oeuvre rejoint astucieusement le fond mais on peut aussi regretter que Ducournau, tout à son empilement visuel et conceptuel, finisse par perdre son fil narratif.


Avis de Titane de Julia Durcournau
 
En effet, la trame intrigante et relativement carrée de thriller esquissée durant la première moitié se délite peu à peu, la faute notamment à de trop nombreuses ellipses qui morcellent la narration en blocs hallucinatoires et/ou signifiants. Certains fonctionnent du tonnerre mais le matraquage d'images transgressives et la volonté de « faire sens » à tout prix finissent par prendre le pas sur l’histoire et le développement des personnages (un écueil qui avait été adroitement évité dans Grave).
 
La réalisation est elle aussi à l’image de ce trop plein, virtuose, excessive, mais toujours sur un même mode paroxystique qui menacerait presque d'amoindrir le choc recherché (par simple effet de surdose). L’agression continuelle, les ruptures de ton incessantes, les scènes dramatiques désamorcées par un humour absurde très con et les moments les plus grotesques traités avec un premier degré absolu...c’est le film lui-même qui paraît avoir une plaque en titane vissée dans le lobe frontal. 
 
Mais s'il parvient au delà des contorsions de sa mise en scène à éviter de n'être qu'un bel objet théorique, c'est surtout grâce à l'excellence de son casting : malmenés par la caméra, transformés en morceaux de viande crue souffrante et hurlante, Agathe Rousselle et Vincent Lindon se prêtent à un numéro de tabassage masochiste qui évoque Tokyo Fist et apportent in fine le supplément d'incarnation nécessaire.


Avis de Titane de Julia Durcournau

 

Du coup, pari gagné de justesse ? 

Disons que les multiples audaces visuelles et les bifurcations imprévisibles du récit font qu'il est difficile de s’y ennuyer. Mais pour kiffer il faudra adhérer à l’emphase et la boursouflure tous azimuts, aimer les « grands films qui pensent » et les poings dans la gueule. 

Personnellement Ducournau m’a kické hors de l’habitacle et abandonné sur le bord de la route dans la dernière ligne droite...mais j’imagine totalement Titane devenir un pur objet de culte auprès de la dernière génération de cinéphiles passionnés par les questions (trans)identitaires, les fan arts du personnage d’Alexia l’androgyne exterminatrice envahir internet, et Julia Ducournau s'imposer comme la nouvelle porte-étendard du cinéma freak. Bref c’est un peu comme cette vieille maxime rock’n’roll : si c’est trop fort, c’est que t’es trop vieux. Allez, longue vie à la nouvelle chair !


-Vixen-
 
 





Commentaires

  1. Très bonne proposition de mélange des matières et de transformation des corps, comme si Harry Crews avait bouffé Cronemberg... Il me manque l'étincelle, le film aurait clairement gagné à être plus ramassé, comme le physique Vincent Lindon gonflé aux stéroïdes, mais je lui colle tout de même un 5/6. Je fais l'impasse sur les aspects négatifs qui font que je n'ai pas été totalement envouté par ce récit parce que c'est quand même très cool de voir des films français de ce genre... Allez Julia la prochaine fois tu nous fais un sans-fautes !

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    1. La palme vient de rebattre complètement les cartes quant à la suite de sa carrière, c'est assez dingue pour un deuxième film, et pour un film aussi radical et imparfait. Mais ouais ça fait super plaisir (surtout vu comment Grave avait été snobé par les Césars !)

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    2. Ouais un choix plutôt audacieux et c'est tant mieux. Curieux de voir comment tout ça va être digéré...

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