Ju-On : The Grudge [Takashi Shimizu]

 

Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

 
Réalisation : Takashi Shimizu

Année : 2002

Pays : Japon

Casting : Megumi Okina, Yuya Ozeki, Takako Fuji

Durée : 1h32

Note : 5/6 (MacReady)

 

Il est toujours fascinant de voir comment certains films d'horreur japonais, surtout dans le genre du kaidan-eiga ou yurei-eiga (les films de fantômes japonais), avec leur économie de moyens et leur subtilité narrative, ont pu à ce point marquer les esprits. Fin 90/début 2000, ils étaient en feu, les mecs. Tellement qu'ils ont durablement impacté le monde et le genre horrifique entier. Alors Ring, évidemment, de Hideo Nakata, qui arrive le premier en 1998. Mais aussi Ju-on, réalisé par Takashi Shimizu, qui s'impose pas mal lui aussi. Le film, à l'origine pensé pour le marché de la vidéo (le fameux format V-cinema au Japon) et sorti en 2000, a été ensuite réadapté et entièrement retourné avec des moyens plus conséquents en 2002 pour le cinéma. Succès fulgurant, et mérité selon moi. Écrit par Shimizu lui-même, Ju-on, gorgé des spécificités locales, imprégné de son imagerie particulière et de son ambiance mortifère, se développe en une expérience assez unique (en tout cas pour l'époque), assez glaçante, mais surtout hyper efficace. 22 ans plus tard – après des remakes ricains, des suites, des préquels, des reboots, des tout-ce-que-tu-veux, et de toute façon avec une grammaire et des imageries reprises, pompées, siphonnées un peu partout à tel point qu'on n'en pouvait plus – 22 ans plus tard, disais-je, se replonger au cœur de la vague fait quand même un bien fou et permet de mesurer à quel point ce "ground zero", dont les ondes concentriques se répercutent dans le genre encore aujourd'hui (souvent pour le pire), a tapé en plein milieu de la cible. Millimétré.


Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

 

L’histoire : Une malédiction naît lorsque quelqu'un meurt dans une grande colère ou une profonde tristesse. Ceux qui entrent en contact avec ce lieu maudit se retrouvent eux aussi condamnés.
 

On ne peut pas faire plus simple. On ne peut pas faire plus simple, mais Takashi Shimizu va complexifier le déroulement de son récit par une structure narrative éclatée, non linéaire, chapitrée. Alors évidemment, on n'a jamais rien sans rien, cet aspect déstabilisant peut freiner une certaine immersion immédiate. Cela dit, il faut reconnaître que ce sentiment qui, au prime abord, peut être frustrant devant la redondance de la mécanique – au final, l'enchaînement des chapitres pourrait être perçu comme un agencement de courts-métrages avec un fil rouge narratif – participe néanmoins et complètement dans sa finalité à véhiculer hyper efficacement une espèce de sentiment de déliquescence de la réalité et de l'inéluctabilité implacable de cette malédiction, une atmosphère de fatalité inévitable. C'est assez intéressant. Chaque personnage, qu'il soit conscient ou non du danger, se retrouve inexorablement pris dans ce piège surnaturel, et ça donne à l'ensemble une ambiance pesante et mortifère, sans espoir de trouver libération, délivrance.

 

Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu
 

Ce découpage non linéaire évoque aussi une autre idée : la malédiction semble être hors du temps, se répandant dans toutes les directions, passé, présent, futur, frappant à n’importe quel moment, sans prévenir. Mieux encore, la non-linéarité de la construction, de la narration, contamine la réalité perçue des protagonistes – notamment à travers deux chapitres spécifiques – où le futur semble impacter directement le présent. J'adore cette idée. Que la présence, l'apparition du surnaturel dérègle chaque aspect, pervertit toutes les règles, toutes les lois de la réalité. C’est l'une des forces du film. Et puis ça donne à l’ensemble un caractère aussi hyper ludique : jouer avec notre perception pour mieux nous enfermer dans cette spirale surnaturelle, et surtout jouer sur nos attentes, nous obligeant à reconstituer nous-mêmes les événements tout en restant constamment sur le qui-vive. Déployant donc un pur plaisir actif, participatif, nous incluant directement et activement au récit, nous obligeant à recoller nous-mêmes les morceaux, mais aussi accentuant la tension au fur et à mesure que les pièces du puzzle se rassemblent et la réalisation qu'aucun échappatoire n'est possible. Ultra efficace, selon moi.

 

Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

Ultra efficace également dans la mise en image du récit, Takashi Shimizu et son directeur de la photographie, Tokushô Kikumura (qui a bossé, entre autres, sur Cure de Kiyoshi Kurosawa), ont réussi à distiller, à imprégner la menace et l'horreur dans chaque aspect visuel du film, à chaque plan, à chaque élément du décor. Menace visible, invisible, les personnages semblent constamment épiés, hantés. Le film joue hyper brillamment sur cette idée de surveillance constante, de menace omniprésente. Les quelques mouvements de caméra sont parfois lents, presque languissants, créant une attente et une tension indéniables. Les couloirs et les pièces de la maison deviennent des lieux de terreur en soi, sans qu’il y ait besoin d’effets visuels exagérés, ni même d'apparitions. Shimizu prend le temps de créer un espace où l’horreur se faufile dans chaque recoin. C'est une des forces du film d'ailleurs : la gestion de l'espace. La maison maudite, avec cette architecture particulière, devient un personnage principal, super bien mise en valeur.

 

Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

 

Les apparitions fantomatiques (de Kayako et Toshio, devenus cultes et presque incontournables), bien que rares et distillées tout au long du film, sont toujours hyper marquantes. Que cela soit par leur esthétique, l'imagerie invoquée, ou les sons iconiques qui les accompagnent, toutes ces petites touches apportées à leur apparence, à leurs apparitions, à leur aura, sont très bien gérées et participent à rendre ces yurei plus que mémorables. Leur présence est si menaçante qu’elle semble imprégner chaque scène, même lorsqu’ils ne sont pas visibles à l’écran. Même dans les moments de silence ou d'inaction apparente, une tension palpable imprègne l'atmosphère, l'ambiance. Tout semble hanté, contaminé, maudit. Il y a un jeu permanent avec les informations divulguées. Soit en donnant ces informations au spectateur alors que les protagonistes ne les ont pas, soit inversement en se focalisant sur les réactions de ces protagonistes devant ce qui nous sera révélé par un décalage, un mouvement de caméra brutal engendrant rupture et révélation horrifique. Encore une fois, une utilisation de la mise en scène, de la gestion du cadre, du découpage, ultra efficaces. D'autant plus que Shimizu utilise brillamment ces apparitions pour renforcer l'impossibilité physique de leur présence, mais pourtant bel et bien là, renforçant l'idée qu'il n'y a nulle part où se cacher, nulle part où être en sécurité.


Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

Encore un petit mot, avant de conclure cet article encore une fois inutilement trop long, sur le casting. L'ensemble est très bon et fait du bon taf. Megumi Okina, dans le rôle de Rika, est super, subtile, attachante. Mais c'est évidemment du côté des yurei que l'attention se tourne forcément – d'ailleurs, les acteurs indissociables de leurs rôles reviendront dans le remake US également réalisé par Shimizu en 2004. Donc, niveau yurei, nous avons d'abord Yuya Ozeki (qui avait 5 ans pendant le tournage) dans le rôle de Toshio, très creepy, mais évidemment et surtout Takako Fuji dans le rôle de Kayako, dont l'expérience de contorsionniste et de danseuse de ballet entraînée a grandement aidé à rendre particulièrement mémorable sa présence – et je ne parle même pas de la fameuse scène dite de "la descente des escaliers" présente dans toutes les versions et dont la physicalité de l'actrice participe à fond à la rendre mythique.


Avis Ju-On The Grudge 2002 Takashi Shimizu

Bref, Ju-On, je pourrais encore en parler longtemps tellement – oui, n'ayons pas peur des mots – il exerce sur moi une étrange fascination depuis plus de vingt ans. Autant pour la totalité, l'objet filmique, que pour la précision de la gestion de chaque élément le composant. Je pourrais encore parler, entre autres, de l'ambiance sonore, de l'assourdissant silence puisque la musique est plus que rare, de l'aspect effrayant et pathétique, autant victime que bourreau, de ses spectres. Bref, j'en ai encore sous le pied. Mais je conclurai juste en disant que c'est un film qui réussit à exploiter la peur de l’invisible et de l’inéluctable avec maîtrise, efficacité. Combinant une narration déroutante, une mise en scène ultra précise et une utilisation minimale mais percutante de ses fantômes pour créer une expérience vraiment cool. À mon sens, un des meilleurs films du genre, si ce n'est le meilleur. (déso Ring, je t'aime beaucoup aussi, mais voilà).

 

-MacReady- 

 

 


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