- Obtenir le lien
- X
- Autres applications
Réalisation : David Schmoeller
Année : 1989
Pays : États-Unis
Casting : Paul Le Mat, William Hickey, Irene Miracle
Durée : 1h30
Note : 4/6 (MacReady)
3/6 (Dahlia)
Ah, Charles Band... ça fait longtemps que j'ai envie d'en parler. Non parce qu'il y a chez le mec une sorte de bizarre petit génie brut, un flair d’entrepreneur étrangement visionnaire, capable de sentir - avant tout le monde (ou presque, faut pas déconner non plus) - qu'au fond, laissons tomber les sorties en salle, que les vidéoclubs étaient devenus des sanctuaires et les jaquettes, leurs totems sacrés, et que c'était déjà bien suffisant. C'est un peu le père ou l'oncle du direct-to-video. Empire Pictures – son ancienne boîte qui a produit et sorti les petites tueries de la série B horrifique de Stuart Gordon et Brian Yuzna comme Re-Animator, From Beyond, Dolls – Empire Pictures, disais-je, vient à peine de couler, emportée par des rêves un peu trop grands pour ses poches. Bof, pas grave. Band s'en fout un peu, rebondit direct et crée Full Moon Entertainment. Un étendard mythique de l’horreur fauchée, du direct-to-vhs, donc, avec pour premier bébé Puppet Master - à la fois carte de visite, crash-test et - surprise ! - carton plein.
Et le plus étonnant, c’est que malgré sa fabrication en mode sprint à cloche-pied, son pitch improbable et son budget de l'angoisse (entre 400.000 et 600.000 dollars, selon les sources), Puppet Master fonctionne pas trop mal. Pas tout le temps, pas à tous les niveaux, mais il fonctionne. Grâce à son esthétique bien tenue, son ambiance doucement bizarre, et surtout cette idée simple mais tenace : accorder à ces marionnettes une vraie place, presque sérieuse, dans la mécanique du récit. Comme si elles avaient droit, elles aussi, à leur petite tragédie, leur petit dilemme. Les traiter comme des figures dramatiques à part entière, pas juste comme un gimmick horrifique. Et c’est sans doute ça qui fait la différence. Là où des dizaines de slashers de l’époque se contentaient de répéter la formule, celui-ci essaie sincèrement de construire un univers. Un peu déviant, un peu brinquebalant, mais bel et bien là.
Et pourtant, sur le papier, c’était pas forcément gagné : un groupe de médiums se retrouve dans un vieil hôtel en bord de mer pour enquêter sur le suicide d’un ancien collègue. Ce dernier, évidemment, avait trouvé une formule magique venue d’Égypte pour insuffler la vie à des poupées tueuses. Le genre de truc qui sent un peu le téléfilm du samedi soir. Mais ça tient, à cause (ou grâce) à un ton très étrange, entre sérieux clinique et chelouterie, bizarrerie assumée. L'idée, comme souvent, vient de Band lui-même, le scénar vient de Kenneth J. Hall (un mec plus connu pour avoir bossé sur les effets spéciaux de Ghoulies II - également produit par Charles Band sous la bannière Empire Pictures - que pour son goût du raffinement), épaulé ici par David Schmoeller, qui avait déjà réalisé le très sous-estimé Tourist Trap en 1979 et le sympathique Fou à Tuer en 1986 avec le psycho Klaus Kinski. C’est pas subtil, mais c’est jamais complètement débile non plus.
Et Schmoeller, justement, c’est pas n’importe qui - un peu quand même, mais ça va. Dans la troupe Full Moon, il a clairement une petite patte visuelle. Ici, avec trois couloirs, deux chambres et des bouts de décors, il arrive quand même à créer une ambiance. Lumière tamisée, cadres un peu de travers, rideaux qui flottent pour rien… On a parfois l’impression que tout se passe dans un rêve, ou dans un souvenir flou étrange. C’est bricolé, mais ça a du charme. Ça dégage un truc. Faut dire que le directeur photo est Sergio Salvati, chef op attitré de Lucio Fulci sur L'enfer des Zombies, Frayeurs, L'au-delà, etc... Quand même. Ah et aussi sur Les Guerriers du Bronx de Enzo G. Castellari, et sur la blinde d'autres trucs de toute façon. Donc un mec quand même bien solide, auquel le manque de budget (et parfois de professionnalisme) ne fait pas trop peur, il sait gérer et quand même proposer une texture, une atmosphère particulière. Alors ici c'est sans doute pas son meilleur taf, mais il s'en sort quand même plutôt bien.
Mais bon. Le vrai cœur du film, cela dit, ce sont évidement les marionnettes. Animées image par image par David Allen (qui a bossé entre-autres sur Dolls, The Stuff, mais aussi des productions plus importantes comme Miracle sur la 8ème rue et même Willow ou Chérie j'ai rétrécie les gosses), elles volent la vedette à tout le monde. Bien sûr, Allen n’a pas les moyens de Ray Harryhausen, mais il a son enthousiasme. Et ça se sent. Blade, Tunneler, Pinhead, Leech Woman, Jester : leur design est simple, presque naïf, mais immédiatement mémorable. Mieux encore : elles sont attachantes ces puppets. Menaçantes oui, dangereuses bien sûr, elles butent des gens, mais elles sont aussi innocentes quelque part. Manipulées, comme toutes marionnettes. Plus proches finalement d'un monstre de Frankenstein quelque part (le tragique en moins) que des autres poupées purement diaboliques. Je trouve ça hyper intéressant et assez bien vu. Parce que Band, toujours malin, pige très vite qu’il tient là de futures mascottes. Des créatures faites pour devenir des figurines, des t-shirts, des icônes de vidéoclub. Et le public suit. Ces poupées-là, c’est pas juste des tueurs miniatures : c’est des symboles. Des morceaux de mythologie série B, taillés pour durer.
Alors oui, c’est un peu mou parfois. Il y a des tunnels de dialogues pas franchement passionnants, où l’on sent que les acteurs tuent le temps entre deux apparitions de Blade. Les scènes se succèdent parfois sans logique dramatique, comme si le film avait été monté en fonction des disponibilités du décor ou des jours où l’équipe pouvait être nourrie. Mais ça ne casse pas l’élan général. Malgré tout, il reste sur sa voie de navigation. Il flotte, il tangue, mais il reste solide dans la tempête. Même s'il prend la flotte de temps en temps et qu'il boit une fois ou deux fois la tasse, faut l'admettre, mais ça va, il garde le cap. Parfois flou, mais un cap quand même. Et puis en 1h30, ça va, on a pas non plus trop le temps de s'emmerder, même si évidement ça aurait pu être bien mieux géré. Mais on pardonne facilement.
Et puis bon, il y a la musique du frangin aussi : Richard Band. L’un des apports les plus décisifs à l’identité sonore de Full Moon et même avant ça de Empire Pictures, puisqu'il signe aussi la musique de Re-animator, de From Beyond, en gros : pas mal de films produit par son frère. Et ici il fait comme souvent du très bon taf. Son thème principal, mémorable, est une sorte de valse baroque, carnavalesque, taquine, mais presque élégante, presque trop pour ce qu’elle accompagne. Et c’est ce décalage qui fait tout le sel du truc. Pendant qu’une marionnette recrache des sangsues, la bande-son, elle, croit dur comme fer qu’on est dans un opéra gothique. Bon j’exagère un peu, mais vous voyez. Et ça marche. Ça donne au film une espèce de grandeur, un décalage comme déjà dit développant un charme étrange, une forme de solennité ironique, malicieuse, qui colle parfaitement à l’ADN du film. Je la trouve très cool.
Les acteurs ? On va dire qu'ils font le job. Paul Le Mat (vu notamment dans American Graffiti et dans pas mal de séries de l'époque, de Arabesque, à Le Voyageur, dans La Cinquième Dimension aussi) en médium un peu bourru, mais paradoxalement un peu nunuche, a un jeu un peu raide, mais jamais (trop) ridicule, malgré sa coupe de cheuv' et son regard téléfilm. William Hickey (Little Big Man, le sympa et chelou La Sentinelle des Maudits, et pareil dans toutes les séries ever de l'époque - même Sésame Street), en ouverture, donne un poil de gravité. Ah et pour les fans, y a même Barbara Crampton qui vient faire coucou vite fait. Quant aux autres ? Barf, ça va. Ça fait le taf. De toute façon, même si on les voit pas non plus souvent, les vraies stars c’est les puppets.
Et c’est là qu’on voit ce que Puppet Master cherche à viser. Il ne raconte pas juste une petite histoire de médiums et de marionnettes. Il pose les bases d’un écosystème. Le film devient l'étendard, le point de départ d’un univers entier. C’est un prototype, un pilote, une matrice. Il lance la plus longue franchise horrifique du DTV américain avec quatorze suites à ce jour (oui, quatorze), un reboot produit par Fangoria, (l'assez gore, plutôt cool et très con Puppet Master: The Littlest Reich en 2018 - qui a même reçu le Grand Prix du Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2019) une tonne de produits dérivés et un univers étendu avant l’heure. C’est la graine d’un empire miniature. Derrière, Full Moon va lancer toute une ribambelle de franchises : Demonic Toys, Dollman, Subspecies… Un vrai multivers maison, pensé pour le cross-over avant l’heure, pour l’étagère de vidéoclub avant la salle de cinéma. Ce n’est pas du cynisme, c’est une stratégie de survie. Et dans ce système-là, Puppet Master est un jalon fondamental. Bancal, oui. Mais aussi singulier, sincère, et étrangement cohérent.
Bref, Puppet Master, c’est pas un chef-d’œuvre planqué. C’est pas non plus une pépite oubliée. Mais c’est un film qui croit suffisamment à son propre délire pour qu’on y adhère. Un objet bricolé, pas forcément toujours bien agencé, mais totalement habité, sincère, et malgré tous les défauts – on cracherait pas sur plus de gore aussi, mais bon – une petite série B qui reste sympa, attachante et assez efficace. J'irai même jusqu'à dire mythique, presque malgré elle.
-MacReady-
Commentaires
Enregistrer un commentaire