Candyman [Nia DaCosta]


Candyman de Nia Da Costa

Réalisation : Nia DaCosta

Année : 2021

Pays : États-Unis

Casting : Yahya Abdul-Mateen II, Teyonah Parris, Nathan Stewart-Jarrett...

Durée : 1h28)

Note :  4,5/6 (Vixen)


Sorti dans les salles hexagonales le 29 septembre dernier, cette nouvelle itération chapeautée par Jordan Peele (Us, Get Out) semble s'être mangé une belle volée de bois vert de la part des spectateurs, et ce malgré de réelles qualités cinématographiques. Serait-ce alors du au contenu pour le moins, disons...polémique du film, à plus forte raison dans le climat politique actuel (très légèrement empuanti par les diatribes racistes et identitaires en tous genre) ? Mmmmh...ça valait le coup de se pencher un peu en détails sur cette étonnante pelloche très joliment emballée et très peu consensuelle. 

Après des années à se taper des remakes et reboots se contentant de capitaliser avec paresse sur l'aura de films cultes des années 80/90, flattant la fibre nostalgique d'un public friand de trips régressifs sans apporter de réelle plus-value, il y a quelque chose de franchement rafraîchissant à voir débarquer une proposition aussi gonflée que ce Candyman version 2021 (qu'on adhère ou non au propos, ça vaut le coup de saluer l'audace). Loin de se contenter d'émuler son illustre modèle, le film se pose en miroir et en prolonge de façon stimulante les thématiques.

 

Candyman de Nia DaCosta

Ce principe de miroir sous-tend d'ailleurs la plupart des procédés de mise en scène. Annoncé dès le départ et de façon assez évidente par l'inversion des logos Universal et MGM, Nia DaCosta ne va cesser de décliner le concept visuellement tout au long du film (et notamment durant les scènes de meurtre, le fameux croque-mitaine en titre n'apparaissant en chair et en os que dans le reflet des miroirs). Mais ce qui pourrait apparaître à première vue comme une simple coquetterie esthétique répond en fait directement au propos même du film.

Le générique d'ouverture est ainsi un excellent exemple de ce mariage entre le fond et la forme, dans le sens où il prend l'exact contre-pied de la version 1992. Les deux séquences venant synthétiser de façon frappante leur approche respective, elles permettent de mesurer dès le départ le glissement de point de vue qui s'est opéré en l'espace de 30 ans.

Candyman de Nia DaCosta

Le générique du film de Bernard Rose consistait en un long travelling latéral en plongée, un regard aérien, lointain et distancié réduisant le paysage urbain à une carte topographique. Le ton était donné d'emblée : le film adoptera le point de vue de son héroïne, une universitaire blanche et bourgeoise qui pose un regard froid et analytique sur un phénomène socio-culturel qui lui est étranger. Et malgré son discours sociétal sous-jacent, ce Candyman là s'attachait en effet davantage à disséquer les mécanismes de propagation des légendes urbaines, de façon parfois très scolaire (le Candyman s'exprimant carrément sur le sujet en voix-off).


Candyman de Nia DaCosta

Le générique de la version 2021 inverse quant à lui l'axe de prise de vue, puisqu'il s'agit désormais d'un travelling en contre-plongée adoptant le regard d'un quidam se déplaçant au ras du sol et levant les yeux au ciel. Le contraste est saisissant : l'angoisse diffuse que l'on ressent n'est cette fois pas due à la nature tentaculaire du tissu urbain mais au sentiment d'être écrasé par l'architecture, par ces symboles de pouvoir que sont les gratte-ciels et dont les sommets inaccessibles se perdent dans le brouillard. Encore une fois, le ton est donné : le film adoptera cette fois le point de vue d'un personnage de la rue, et parlera de domination.

 

Candyman de Nia DaCosta
  

C'est sans doute ce qui rendait le film de 92 plus confortable aux yeux de ceux qui vomissent ce nouveau Candyman, et ses revendications à l'aune du mouvement Black Lives Matter. C'était, puisqu'il faut bien mettre les pieds dans le plat à un moment donné, un « film de Blanc ». Bernard Rose, un réalisateur britannique Blanc adaptant un écrivain britannique Blanc, avait certes eu une excellente intuition en décalant le décor de la nouvelle de Clive Barker dans un ghetto afro-américain mais le film restait sagement sur le schéma classique de « l'étranger » : un personnage confronté à un monde inconnu dont il ne maîtrise pas les codes. Ce faisant, il puisait dans une imagerie horrifique très ethnocentrée, empruntant beaucoup au romantisme du mythe vampirique (séduction, hypnose, réincarnation), jusqu'à sacrifier au cliché gothique de la belle évanouie portée par le monstre.

L'aspect politique restait finalement ténu, limité à un constat social sinistre à même de confronter le spectateur dans ses clichés (le ghetto : un gamin livré à lui-même, des racailles, une mère courage qui élève seul son bébé). Ceci dit, le film brodait en filigrane et de façon intéressante sur l'empreinte indélébile de la violence raciale, avec cette population Noire prisonnière d'un cercle de terreur où les traumatismes du passé (ici, le lynchage) entraînent un asservissement par la peur. 

 

Candyman de Nia DaCosta
 
Candyman de Nia DaCosta 

Le film de Nia DaCosta part de ce constat et pousse la réflexion plus loin, en s'appuyant sur le phénomène récent de la gentrification des quartiers populaires. L'amnésie collective vient ainsi comme un ultime affront parachever le cycle puisqu'on se contente d'effacer les cicatrices du passé sans que les racines de la violence ne soient questionnées et épurées. Mais c'est bien connu, le refoulé ne demande qu'à remonter à la surface comme va le découvrir à son corps défendant Anthony, le héros joué par Yahya Abdul Mateen II.

A la sociologue et intellectuelle jouée par Virginia Madsen succède donc un artiste, que sa sensibilité intuitive rend perméable aux forces souterraines de l'inconscient collectif (sans doute l'idée la plus «Barkerienne » de cette suite, même si elle est tempérée plus tard par une tentative assez maladroite de raccrocher les wagons au film de 92). DaCosta montre le personnage torturé par un dilemme moral insoluble, son ascension sociale étant conditionnée au fait de devoir canaliser sa colère (récupérée par les hipsters de l'Art contemporain jusqu'à devenir un objet marketing comme un autre), au point que son propre corps entame une transformation dans la grande tradition du body horror. On parle bien ici de somatisation, le héros finissant par littéralement incarner (au sens premier du terme) le retour du refoulé, en devenant à la fois une victime sacrificielle et le monstre qu'on s'était efforcé d'oublier.

 

Candyman de Nia DaCosta

Candyman de Nia DaCosta

Et c'est le film lui-même qu'on sent traversé par la rage. Sous ses dehors très chics, sa mise en élégante et ses mises à mort stylisées couve une radicalité qu'on attendait clairement pas dans le paysage hollywoodien actuel, si policé et politiquement correct. Le choix des victimes du croque-mitaine est on ne peut plus clair : toutes sont Blanches, comme si la violence endémique qui contaminaient les ghettos de 92 débordait désormais sur toutes les strates de la société. Il y a urgence à purger la situation, avertit la réalisatrice, sans quoi personne ne sera plus à l'abri. Car si les premières victimes du Candyman semblent châtiées pour une raison symbolique bien précise (le galeriste nie la pertinence de la colère sociale et tente de la formater, la critique d'Art renvoie dos à dos Noirs et Blancs dans un relativisme faussé), le massacre des adolescentes qui survient plus loin dans le film montre l'impact potentiel de cette rage incontrôlée sur les innocents – avec cette nouvelle génération ignorante du passé qui se retrouve victime collatérale d'un système inique dont elle n'a même pas conscience. 

 

Candyman de Nia DaCosta

Le final achève la démonstration avec une idée audacieuse qui parvient à faire évoluer le mythe dans une direction inédite : alors que le film de Bernard Rose racontait la perpétuation du mal sous une forme différente, celui de Nia DaCosta se clôt sur un carnage de policiers, montre la peur changer de camp et transforme son croque-mitaine en bras vengeur d'une population humiliée une fois de trop. Vu le parfum d'insurrection qui flotte dans ce climax, on ne s'étonne pas trop d'entendre grincer des dents ici et là.

 

Candyman de Nia DaCosta

Il serait d'ailleurs injuste de classer tous les détracteurs dans la case des réacs déboussolés par la radicalité du propos, car le film n'est pas sans défauts. On pourra lui reprocher son excès de didactisme (une critique à laquelle répond directement DaCosta au détour d'un dialogue méta), un casting sans relief, regretter la poésie macabre de l'original et surtout le fait qu'il ne fasse jamais peur, là où la version 92 excellait à installer une atmosphère d'angoisse et réservait quelques jumpscares bien gratinés.

Reste que cette nouvelle version du mythe fait l'effet d'un petit courant d'air bienvenu, révélant une excellente réalisatrice et augurant du meilleur pour la suite, sachant que Jordan Peele travaille actuellement au remake du Sous-Sol de la Peur/ People Under the Stairs de Wes Craven. Rappelons que cet excellente comédie horrifique, sortie un an avant Candyman et exhalant elle-même un fort parfum de légende urbaine, prenait fait et cause pour une bande de cambrioleurs Noirs confrontés à un couple de bourgeois Blancs complètement dégénérés. Alors s'il y a peu de chance que cette nouvelle mouture parvienne à égaler en folie cartoonesque les excès de l'originale (que je conseille chaudement à tous ceux qui ne l'auraient pas vue), je suis tout de même curieux de voir jusqu'où ils oseront pousser le bouchon. 

  -Vixen- 

 

Candyman de Nia DaCosta

 






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